LE MAGAZINE DU RÉSEAU DANIEL MOQUET
Accueil›Les dossiers›Les plantes sauvages pour élargir notre horizon culinaire
On dénombre aujourd’hui entre 12 et 14 millions d’espèces animales et végétales sur Terre. La part que représentent les plantes est de 2,5%. Seul 0,1% des plantes (soit une trentaine d’espèces environ) constituent 90 % de l’alimentation végétale mondiale. Parmi ces espèces, plus de 50 % de notre consommation repose sur le blé, le maïs et le riz. Et si nous élargissions nos horizons culinaires pour consommer ces autres ressources naturelles que nous offre la planète ?
A l’origine,
l’homme se nourrissait exclusivement de plantes que nous qualifierons de “sauvages” (par opposition à nos modes de culture aujourd’hui). La chasse et la pêche ne représentaient qu’une petite part de son alimentation. Avec la sédentarisation, l’homme a fait évoluer son alimentation en délaissant progressivement les ressources les plus éloignées de
son périmètre de vie. Il a développé l’élevage et la culture des sols autour de quelques espèces végétales. De nouvelles enrées issues du travail de ces ressources agricoles font leur apparition, comme la farine de blé pour le pain par exemple. Varier son alimentation et consommer des produits raffinés devient un symbole de richesse, et ce, dès l’époque médiévale.
Et pourtant, force est de constater, que cette diversité repose essentiellement sur une petite variété des ressources que nous
offre la nature. Le mode d’alimentation que nous suivons aujourd’hui, issu de l’industrie agroalimentaire, repose sur la sélection d’un petit nombre d’espèces, répondant le mieux à tous types de sols et de climats.
Ces espèces sont aussi les plus rentables, et les plus nourricières, deux valeurs essentielles ancrées dans nos gênes, en réponse à notre instinct de survie. Aujourd’hui, face aux difficultés que rencontre l’industrie agro-alimentaire, interrogeons nous sur nos méthodes de production et nos sources’alimentation et redécouvrons le patrimoine végétal naturel dont nous disposons.
Le plaisir de redécouvrir la nature pour une alimentation variée
Habitués que nous sommes à consommer essentiellement ce qui vient de l’étal d’un marchand (ou d’une grande surface) ou du potager, on en oublie que bon nombre de plantes sauvages sont comestibles, et que parmi celles-ci, il en est même qui sont savoureuses. Qu’elles poussent en pleine campagne ou dans notre jardin (les “mauvaises” herbes peuvent parfois se révéler très bonnes une fois dans l’assiette),ces plantes ont souvent été utilisées comme des légumes par nos ancêtres, avant l’apparition des variétés domestiques. D’autres ont été cultivées comme plantes potagères à une époque, avant d’être délaissées et chassées des jardins.
Et si l’on goûtait à nouveau à ces herbes sauvages.
Elles sont riches en nutriments, économiques (mieux : gratuites), aux saveurs douces ou au contraire prononcées, et affichant même parfois des propriétés médicinales. Soyez curieux, laissez-vous surprendre. Les spèces sont variées et la méconnaissance peut nous en éloigner. Heureusement il existe aujourd’hui pléthore d’ouvrages sur
le sujet qui pourront vous guider dans cet apprentissage pour le plus grand plaisir de vos papilles et du bien-être de votre corps. Qu’on se rassure : on compte environ 12 000 espèces végétales comestibles ! Alors prenez un panier, un couteau, un bon guide des plantes sauvages comestibles avec vous et partez sereinement effectuer vos premières cueillettes.
Quand et où aller ?
Quelques conseils avant de vous laisser gambader. Evitez tout d’abord les bords des routes pollués ou la proximité de zones industrielles et de champs cultivés (culture végétale et animale). Ne partez pas non plus après une averse : les plantes
sont naturellement des refuges pour les insectes quand il pleut, vous risquez donc de retrouver votre panier rempli de voyageurs clandestins”, en conséquence de quoi vous passerez du temps à nettoyer votre récolte. Ramassez juste le nécessaire, pas de gaspillage et pratiquez une cueillette responsable : laissez quelques plants qui préserveront l’espèce localement et vous garantiront une prochaine récolte fructueuse. Elles constituent aussi une richesse pour votre santé. Depuis l’apparition de l’homme sur Terre, ce dernier profite des plantes pour se nourrir et se soigner. Elles possèdent de nombreux
éléments nutritifs et de vraies propriétés médicinales.
Cap sur quelques plantes méconnues de notre quotidien
L’onagre On la rencontre essentiellement en altitude (à partir de 700 mètres). Avec ses fleurs jaunes, elle peuple d’un bout à l’autre de l’année les champs et prairies. Les tiges couvertes d’un duvet légèrement piquant tiennent généralement à distance notre attention au cours de nos promenades. Pourtant les racines d’onagre ont des vertus nutritives importantes car elles ont
accumulé toutes les réserves nécessaires pour la croissance de la plante. Leur goût ? En purée vous découvrirez un léger goût
de noix très doux au palais. On peut aussi consommer ses graines, riches en acide gammalinoléique, acide de type Oméga 6.
L’ortie
Elle souffre également de son caractère épineux. Pourtant, ses propriétés nutritives en font une star. Si je vous dis “protéines”?, vous penserez sans doute spontanément “viande ou poisson”. Et bien pas seulement. L’ortie est montée sur le podium des plantes comestibles pour sa richesse en protéines complètes. Elle est composée des huit acides aminés que notre organisme ne peut pas synthétiser et qui doivent être apportées exclusivement par l’alimentation.
Ces acides aminés sont présents à proportions égales, c’est pour cela qu’on la qualifie de plante “complète”. Avec une teneur en protéines de 9 grammes pour 100 grammes d’orties consommées, elle prend la tête du classement devant les épinards. Comparativement, un morceau de viande rouge vous apportera entre 15 et 26 grammes de protéines. Ce n’est pas tout, l’ortie est riche en acides aminés, en fer, en sels minéraux (magnésium, potassium, calcium, silice…), en provitamine A, et en vitamine C (7 fois plus que les oranges).
On en prépare des soupes onctueuses, des soufflés, des quiches, un beurre spécial d’accompagnement,
des tartes, des crèmes et aussi des cakes sucrés. Ce sont autant de recettes originales et gourmandes pour intégrer un peu de nouveauté dans vos plats. De quoi la regarder différemment lorsque vous lacroiserez.
Le pourpier
Parmi les plantes envahissantes, vous connaissez sans doute le pourpier, dite “mauvaise” herbe, et qui se répand très facilement sur les sols. Elle est riche en acides gras polyinsaturés (oméga 3), provitamine A, vitamine C, potassium, magnésium, sodium, fer, et est même recommandée dans la prévention des maladies cardiovasculaires.
On déguste le pourpier cru en salade : mélangez quelques feuilles et tiges de pourpier avec quelques feuilles de scarole parsemées de dés de jambon, un filet de vinaigre balsamique et d’huile de noix. On peut le déguster aussi en verrines, ou encore en potage.
Le pissenlit
Cette autre plante de notre enfance continue de nous émerveiller à l’âge adulte : le pissenlit. De la racine aux boutons floraux, en passant par les feuilles, le pissenlit a tout de bon. On connaît souvent le miel de fleurs de pissenlit. Ses feuilles sont aussi excellentes crues que cuites (on les préfère cuites quand la saison est plus avancée et qu’elles commencent à être plus dures).
Le saviez-vous ? Sa racine après avoir été torréfiée remplace aussi le café. Il facilite ainsi le transit intestinal. Il est riche en vitamines A, C et K, et est source de calcium, de fer, sodium et potassium.
SALADE DE FEUILLES DE PISSENLIT
Ramassez deux bonnes poignées de jeunes feuilles de pissenlit (l’idéal pour ceux qui ne l’aime pas trop amer, est de poser sur le pied, deux ou trois jours avant la récolte, un pot de fleur en terre à l’envers). Lavez-les et mettez-les dans un saladier. Ajoutez-y deux ou trois pommes de terre vapeur coupées en dés, des petits lardons rissolés, et un ou deux oeufs durs coupés en morceaux. Dégustez. Vous pouvez varier les plaisirs en ajoutant quelques dés de betteraves cuites.
Le plantain
Sans le savoir on connaît déjà cette plante pour avoir joué avec enfant, en cueillant les grappes de fleurs au bout de tiges. Qualifiée également de “mauvaise” herbe, elle nous étonne par ses vertus purifiantes et détoxifiantes du sang et du foie,
des poumons, et de l’estomac. Elle soigne également les piqures d’insectes, d’abeilles, de moustiques et soulage les petites
coupures. Riche en protéines, en oméga 3, 6 et 9, en vitamine C, en Phénol et Flavonoïdes (dont la lutéoline ou lutéolol), on lui
attribue aussi des propriétés pour lutter contre le cancer.
Primevères, coquelicots, baies de sureau noir
Les plantes s’accommodent aisément en cuisine et permettent d’apporter des variantes à notre alimentation tout en apportant des nutriments complémentaires. Les primevères officinales ou “coucous” du printemps séduiront par exemple les becs sucrés. Faites infuser les racines dans du lait et/ou de la crème liquide, passez-les au tamis et ajoutez-y des jaunes d’oeufs avec du sucre en battant activement. Vous obtiendrez une crème parfumée délicate aux papilles.
Vous pouvez compléter votre dégustation avec un sorbet de coquelicot arrosé d’un sirop de la même fleur qui se mariera à ravir avec quelques framboises fraîches. Amateurs de sirop, découvrez le sirop aux baies de sureau noir sur un fin fromage frais. Attention de ne pas le confondre avec le Sureau Yèble qui lui en revanche est toxique. Le sureau noir est utilisé dans certaines boissons, qu’il parfume délicatement. On utilise aussi ces fleurs pour faire de délicieux beignets ou en extraire une gelée savoureuse.
On trouve le sureau noir aux abords des villages, dans les haies. Ses bienfaits sont extrêmement variés :lutte contre les radicaux libres responsables du vieillissement, contre la fièvre et les infections virales (état grippal, bronchites, rhumes),les infections urinaires, la digestion difficile, les ballonnements ou encore les rhumatismes. Son effet est remarqué aussi contre les affections cutanées :brûlures et eczéma par exemple. De nos jours, on le connaît surtout pour son action contre la prise de poids et son effet antioxydant exceptionnel.
Faut-il revenir en arrière ?
Nombre d’articles évoquent l’importance de revenir “aux sources” pour marquer une rupture avec l’ère dans laquelle nous vivons aujourd’hui. Plus simplement, n’est-il pas intéressant de cultiver l’envie de découvrir de nouvelles saveurs et de s’ouvrir
aux nouvelles habitudes ? L’intégration de ces nouvelles habitudes doit être menée de façon raisonnée pour éviter des débordements comme le récent scandale du soja. Figure de mode depuis une dizaine d’années, le soja fait l’objet d’une agriculture intensive lourde de conséquences sur l’environnement. Pour se développer, le soja est extrêmement gourmand en
eau. Au Brésil, pour cette culture 300 rivières ont aussi été asséchées. La forêt Amazonienne, considérée comme le plus grand poumon de la planète, est devenue le théâtre d’une destruction massive pour laisser place à la culture du soja.
Riches en antioxydants et vitamines
Les plantes sauvages sont plus riches en vitamines C et tanins - des molécules antioxydantes - que leurs homologues potagères. Luttant contre les prédateurs sans bénéficier des protections mécaniques ou chimiques (serres ou pesticides), les plantes sauvages produisent en effet davantage d’antioxydants, bénéfiques pour notre santé. Ainsi la fraise des
bois contient en moyenne quatre fois plus de vitamine C que la fraise cultivée (230 mg/100 g contre 56 mg/100 g) et le navet
sauvage deux fois plus que le navet classique (130 contre 60).
De plus, entre la récolte et l’assiette, à moins d’une surgélation immédiate, les végétaux peuvent perdre une grande partie de leurs vitamines durant leur transport ou leur stockage. La vitamine A est particulièrement sensible à la chaleur et à la lumière, les vitamines B1 et C à l’oxygène de l’air. La cueillette permet de bénéficier d’aliments frais une grande partie de l’année.
CONSEILS POUR VOTRE CUEILLETTE :
Envie d’en savoir plus ?
Sachez qu’il existe de nombreux ouvrages et qu’il n’est pas nécessaire d’aller en librairie spécialisée pour vous documenter. Rendez-vous donc chez vos bouquinistes habituels ou sur internet, en saisissant simplement “cuisiner avec les plantes sauvages”. Le maître en la matière reste François Couplan. Cet ethnobotaniste oeuvre depuis plus de 30 ans pour faire
connaître la flore sauvage et nous réapprendre à vivre “de” la nature et avec “elle” au travers d’une cinquantaine d’ouvrages à
son actif.
Pour les plus amateurs d’entrevous, vous pouvez en savoir plus sur les plantes sauvages, leurs vertus, et comment les trouver grâce à un stage de découverte. Ces stages sont variés et proposent différents points de vue : initiation, survie grâce aux plantes, gastronomie…
Il est d’ailleurs conseillé d’en suivre un premier avant de vous lancer dans la cueillette. Prenez le temps de vous familiariser avec les plantes sauvages. Nous rappelons qu’on peut facilement prendre une plante pour une autre et que certaines peuvent être toxiques. Consommer des plantes sauvages comestibles est une démarche qui peut paraître anodine mais qui se révèle très équilibrante. La “nature” retrouve ainsi son rôle de terre incompatible avec la sauvegarde de l’environnement, à condition que cette cueillette reste à petite échelle, individuelle ou familiale, et sans jamais “ratisser” une espèce végétale dans un lieu. En passant par ci, en flânant par là, on recueille çà et là, juste ce qu’il faut pour le repas ou quelques conserves, ni plus ni moins, sans tarir la source à notre porte.
Eveillez votre curiosité dès que vous franchissez le seuil de votre maison pour découvrir d’un oeil neuf votre lieu de vie, ses alentours, ses recoins et ses richesses
naturelles. Les bienfaits de la nature sont présents au quotidien. L’utilisation des plantes sauvages en cuisine doit se faire
avec des recettes simples, applicables au jour le jour comme on le ferait avec nos légumes habituels.