LE MAGAZINE DU RÉSEAU DANIEL MOQUET
Accueil›Decouverte›Les jardins : inépuisable source d'inspiration des peintres
Espaces publics ou privés, lieux de travail et de culture, intimes ou chaleureux, les jardins ont été le sujet de prédilection des impressionnistes.
Si ce sujet a connu un tel engouement durant ce mouvement pictural français du XIXe siècle, certains peintres actuels continuent de reproduire avec autant d’enthousiasme “leurs petits coins de paradis”. Qui sont ces artistes ? Pourquoi manifestent-ils autant de ferveur pour les jardins ? Dans quel contexte y ont-ils puisé cette source d’inspiration ?
Au XIXe siècle, suite à des renversements politiques et sociaux dus à la révolution, la France est traversée par un grand mouvement horticole : les réformes nouvellement instituées permettent à tous de posséder ou de louer des terres et d’accéder aux parcs et aux jardins publics. Le jardinage devient une activité de loisirs et le jardin un lieu agréable, source de détente,d’intimité.
À cette période, les voyages se diversifient et s’intensifient : de nombreuses plantes et espèces exotiques sont introduites en Europe. Le jardinier particulier ou professionnel dispose désormais d’une large palette de couleurs et de végétaux ; les esprits créatifs donnent libre cours à leur imagination pour agencer leur espace vert.
La population, les municipalités et les commerces vouent alors une passion sans fin pour les jardins. Peu à peu, les artistes peintres se prennent de frénésie pour cette nouvelle activité et ce lieu d’agrément.
A gauche : ©Less Nymphéass -- Cllaude MONET / à droite : ©La Musique aux Tuileries Edouard MANET
Claude MONET, avant d’entamer sa longue série “Les Nymphéas”, se passionne pour les personnages intégrés dans les paysages. “Femmes au jardin”, réalisé en 1866, à Ville-d’Avray met en scène quatre femmes élégantes cueillant des fleurs dans une allée. Camille, sa maîtresse, pose pour les trois femmes peintes sur la gauche du tableau. L’autre femme sur la droite, apparaît déjà avec sa robe à pois dans “Le Déjeuner sur l’herbe”. Les jeux d’ombres et de lumières colorées y sont pour l’époque, saisissants de réalisme.
C’est en 1862, qu’est réalisé par Édouard MANET “La Musique aux Tuileries”. Le premier modèle des peintures impressionnistes représente une scène de la vie “contemporaine” en plein air. Ce tableau avantgardiste fera naître de nouvelles toiles et de jeunes talents.
Auguste RENOIR, Alfred SISLEY, Claude MONET, Camille PISSARRO, entre autres, appartiennent à cette famille d’artistes impressionnistes qui place la nature et plus précisément le jardin, comme l’un des éléments central de leurs oeuvres. Pourtant, si le thème est commun, sa représentation est propre à chacun : quand SISLEY s’intéresse aux vergers champêtres et anciens parcs royaux “L’aqueduc de Marly”, PISSARRO se captive pour les jardins potagers “Jardin potager à l’Hermitage”.
Cet intérêt pour les personnages tels que les femmes et les enfants représentés dans les jardins prend de plus en plus d’ampleur dès 1870 (Troisième République). En mai 1870, Édouard MANET, peint “Au jardin”. Edma, l’une des soeurs de Berthe MORISOT y pose avec son bébé et son frère. Ce tableau signe le début d’une importante série de “jardins familiaux” du mouvement impressionniste. Les critiques du Salon de peinture et de sculpture réclament davantage de ces tableaux qui mettent en relation les Hommes au milieu des espaces verts et qui remportent un franc succès auprès du public.
Le pleinairisme qui caractérise ces peintures représentant des scènes d’extérieur par des jeux de lumière naturels, laisse place à une création artistique beaucoup plus approfondie. La frontière entre l’extérieur et l’intérieur devient plus floue : certains artistes, comme MONET, créent leurs oeuvres dans leurs jardins et les achèvent dans leurs ateliers. Cette limite s’entend également entre les jardins, la terre comme lieu de travail devenu lieu de loisirs, et la vie familiale, dont les membres sont
représentés habituellement en intérieur et posent désormais à l’extérieur.
Ces espaces aménagés dans une ville, attenant ou non à une habitation, agrémentés d’arbres, de fleurs, de pelouses, sont propices à la promenade, aux jeux, à la détente.
Créés sous la directive du baron Haussmann qui met en application un vaste plan de rénovation de la ville de Paris, ils répondent aux dégâts subis lors des périodes d’occupation prussienne et insurrectionnelle (1871). Après 1870, les peintres se sont beaucoup inspirés de ces parcs et jardins publics. Cet intérêt peut s’expliquer par divers aspects : politique (les tableaux pouvaient être produits à des fins de propagande ou en protestation contre le régime de l’époque), conviction (adhésion de l’artiste à la IIIe République) ou sociale (besoin de liberté, de reproduire des coins de verdure calmes et paisibles
loins de l’uniformité et de la rigueur des immeubles haussmanniens).
Du parc Monceau aux jardins des Tuileries, les peintres comme Claude MONET ou Auguste RENOIR aiment révéler ces lieux publics. “Le Parc Monceau” de Claude MONET en 1876 présente des promeneurs marchant ou se reposant, assis sur un banc ombragé par la voûte d’arbres entrecroisés.
Quand les peintres évoquent cette activité, c’est soit en représentant des tâches domestiques : lessive, broderie, couture… soit en mettant en scène le travail de la culture et de la terre comme les plantations, les récoltes, le bêchage… Deux tableaux illustrent parfaitement cette notion de travail.
Dans “Le linge” d’Édouard MANET, réalisé en 1874, on y voit une femme, au soleil, en plein air, étendre son linge auprès de son enfant. Dans un autre registre, “L’Hermitage de Pontoise” de 1867, peint par Camille PISSARRO, a pour cadre un jardin potager de Pontoise, dont on perçoit au premier plan des paysans cultivant leurs légumes. PISSARRO réalisa de nombreux tableaux sur le thème du "lieu de travail" au jardin. Pour lui, la peinture revêt une forme delibération qui s’émancipe par le travail : “Le travail est un merveilleux régulateur de santé morale et physique. Toutes les tristesses, toutes les douleurs, toutes les amertumes, je les oublie et même je les ignore, dans la joie de travailler”.
Tout comme Pierre BONNARD ou Henri LE SIDANER qui se plaisaient à travailler dans leur jardin comme dans leur atelier, lui attribuant le thème fétiche d’une grande partie de leurs oeuvres.
«J’ai mis du temps à comprendre mes nymphéas… Je les cultivais sans songer à les peindre… Un paysage ne vous imprègne pas en un jour… Et puis, tout d’un coup, j’ai eu la révélation des fééries de mon étang. J’ai pris ma palette. Depuis ce temps, je n’ai guère eu d’autre modèle»
Claude MONET
Le plus emblématique de ces artistes reste Claude MONET avec son jardin de Giverny. Pendant près de quarante ans, le peintre qui a imaginé et aménagé son jardin, n’a eu de cesse de l’embellir et d’y reproduire la beauté de la nature.
Tel un collectionneur chevronné, il possédait une diversité de plantes qu’il cultivait puis recréait ensuite sur ses toiles : il lui semblait alors “donner la vie”. Cette expression caractérise fortement les oeuvres des impressionnistes, qui par leurs traits, leurs coups de pinceaux et leurs couleurs éveillent les sens des spectateurs : sentir la caresse de la brise effleurer les feuilles, la chaleur des rayons de soleil se répandre sur les brins d’herbe de la rosée matinale ou respirer le doux parfum des fleurs exotiques. Les oeuvres des artistes impressionnistes sont loin de laisser indifférent.
L’engouement de ces peintres pour les jardins s’explique alors par l’évolution de la nature en perpétuel mouvement (les fleurs qui éclosent ou s’éteignent, la migration des espèces,...) ; les effets du temps qui passe (le lever et coucher du soleil) et le changement de saison (printemps, été, automne, hiver) ; le climat et l’atmosphère ; tous ces phénomènes qui donnent chaque jour et à chaque instant de nouvelles couleurs à leur petit coin de paradis. Autant de paysages à saisir et à reproduire sur leur toile.
Ces impressionnistes qui basent leur art sur les sensations (les odeurs de parfum, le souffle de l’air, les chants des oiseaux, le toucher des textures et la beauté des couleurs) arrivent à retranscrire et à magnifier dans leur tableau la scène qui se produit devant eux. Dès lors, le jardin semble s’être doté d’une force émotionnelle si importante qu’elle est capable d’atteindre et d’éveiller les sens du spectateur, peintre et jardinier.
Le thème du jardin, qui se présente, comme nous venons de le voir, sous divers aspects, a été l’un des sujets favoris des impressionnistes en France comme dans le monde entier. Dans un contexte historique, politique, social et culturel, cet espace vert, bien qu’il puisse être rattaché à la notion de travail, demeure un lieu agréable et de détente où il fait bon vivre. Le mouvement impressionniste a réussi à y retranscrire dans ses oeuvres toutes les émotions qui s’y rattachaient donnant “l’impression” au spectateur de “ vivre “ lui aussi la scène qui se présente sous ses yeux. Ce mouvement qui se manifesta essentiellement de 1874 à 1886 donna naissance à un autre courant divergent, le post-impressionnisme (Vincent VAN GOGH, Paul CÉZANNE, Henri de TOULOUSE-LAUTREC…). Aujourd’hui, certains peintres, comme Valérie DE COURCEL ou André VAN BEEK en France, continuent de faire de leur jardin, leur thème de prédilection.
Source : “Les Jardins des impressionnistes” de Clare A.P. WILLSDON
Sur les traces des oeuvres de ces impressionnistes :